The Route | The route
The route - Nathalie et Alain Antognelli. Découvrez en images et en texte de notre avancée : Calabre, une journée comme les autres
The route, Nathalie et Alain Antognelli, Calabre une journée comme les autres , journal, photos
17898
single,single-portfolio_page,postid-17898,ajax_fade,page_not_loaded,,qode-theme-ver-6.5,wpb-js-composer js-comp-ver-4.4.3,vc_responsive
 

« Italie, Calabre, une journée comme les autres »

Date

July 19, 2016

Catégorie
Journal en images
« Italie, Calabre, une journée comme les autres »

« Je suis contente d’être venue vous voir sur place. Sur votre site web, on voit de belles photos et des articles bien lisses, mais on ne se rend pas compte de l’engagement et de la performance que vous réalisez jour après jour.»

Cette remarque de notre amie Michèle venue nous voir quelques jours sur le terrain nous laisse un moment songeur.

Aurions-nous omis quelque chose dans la façon de présenter cette aventure. Et plus particulièrement sa partie maritime. Pour nous, c’est évident, 3000 km à parcourir en kayak sur la Méditerranée entre Monaco et Athènes ne se réalisent pas sans effort. Mais comme souvent il faut se garder de ce qui nous semble évident.

Reprenons : un périple en kayak de mer, c’est d’abord une parfaite connaissance de ses aptitudes et de tout son matériel. Savoir ce que l’on peut faire et connaître ses limites. Et en l’absence de vitesse, c’est la durée journalière sur l’eau et la répétition des journées de navigation qui au final font la progression. Et ces journées sont faites d’une multitude d’actions physique.

La journée commence à 5 h 30, du moins pour moi. Nathalie mieux organisée et plus rapide dans son rangement grappille encore quelques minutes de faux sommeil, pendant que je plie et compacte sac de couchage, matelas gonflable et enferme livre électronique et autres effets dans leurs sacs étanches respectifs. De toute façon, et avec la chaleur, il est impossible sous ces latitudes et en cette saison, de faire une grasse matinée sous la toile.

Pendant que je termine mon paquetage, Nathalie récupère sur son iPhone le bulletin météo que Michel – Searout, nous adresse tous les jours. Aujourd’hui R.A.S., bonnes conditions, peu de vent. Depuis plusieurs jours, elles sont quasi identiques. Vent 3 – 4 m/s de secteur nord-est le matin, se renforçant 5 – 7 m/s secteur sud-ouest l’après-midi. Mais nous savons que les brises thermiques n’apparaissent pas sur les bulletins et qu’elles peuvent de très loin dépasser les valeurs du vent annoncé. Elles arrivent vers 11 h 30. Il ne faut donc pas perdre de temps.

2 h 30 sont nécessaire pour prendre la mer, tout plier, démonter la tente, vider partiellement les kayaks pour pouvoir les porter près de lieu d’embarquement (par sécurité, nous évitons d’installer le camp trop près de la mer), afin que tout reprenne sa place à l’intérieur des compartiments étanches.

Une fois chargé, un kayak pèse environ 80 kg, dont 50 kg de matériel embarqué. Reste à prendre le copieux petit déjeuner, mélange de flocons d’avoine, agrémenté de raisins secs, d’amandes et de fruits lorsque nous en avons. J’oublie la Ricoré comment puis je oublier la Ricoré alors que l’on en transporte des quantités pour tenir jusqu’à Athènes. C’est là que Nathalie me dit de me dépêcher, car pour elle, je ne vais jamais assez vite.

Une dernière vérification pour s’assurer que rien ne reste derrière nous et nous embarquons. Nous nous assistons mutuellement pour débloquer les dérives systématiquement coincées par le sable et les gravillons. Les petites cordelettes de kevlar que nous avons fixées sur les dérives s’avèrent ici indispensables.

Ça y est, nous pouvons enfin donner les premiers cours de pagaies. Il est 8 h 15. la première demi-heure, se fait en douceur, sans forcer afin de chauffer les muscles. Cap à l’est, le paysage défile sous un ciel inlassablement bleu. Une dose de gris nous irait bien aussi. Au fil des minutes, les conditions de vent évoluent. Dès que sa force dépasse notre vitesse, nous hissons les voiles afin d’alléger la charge et de grappiller un, voir un demi-kilomètre/heure. C’est toujours bon à prendre.

La chaleur approche la limite du supportable. Sur le pont, passé midi, nos gourdes d’eau sont vides. Les muscles demandent du repos. Le GPS affiche 22 km depuis le départ ce matin et 1773 km depuis Monaco.

S’arrêter, oui, mais à proximité d’un point d’ombre. Il n’y en a pas toujours, alors il faut continuer. Une fois à terre, le sable est si chaud que l’on ne peut y marcher pieds nus. Quelques brasses nous apportent un soulagement momentané.

Franchi la large bande de sable, nous nous abritons sous de grands eucalyptus où des nuées de corbeaux tourbillonnent et croissent à tue-tête. La salade de concombres, tomates, œufs durs s’accompagne aujourd’hui d’une boîte de sardines pour deux avec une banane et deux pêches qu’il nous reste. Contrairement au Groenland et malgré l’abondance et la disponibilité de produits frais, la chaleur empêche de stoker.

À l’arrêt, le temps passe vite. Déjà 1 h 30 de pose. Une dernière tête dans l’eau turquoise et nous reprenons la mer. Le vent a changé de direction et forci sous l’effet de la brise. Il vient du large vers la terre, légèrement face à nous. L’allure s’en ressent. En cours d’après-midi, il oblique vers l’ouest et nous permet de sortir les voiles. Un coup, il nous freine, un coup, il nous aide. L’un compense l’autre, drôle de jeu. Le paysage est une alternance de zones sauvages, sorties de rivières, longues plages désertes et de secteurs urbanisés où se concentrent les concessions de plages privées.

On y voit de tout et surtout du grand n’importe quoi. Comment les gens peuvent-ils apprécier cela ? Radio en continu, animateur criard qui appelle le public pour une séance d’aquagym, musique hystérique, bref tout ce que l’on aime ! Dans ces moments-là, on pense au Groenland ou encore aux steppes de Mongolie.

Chaque jour, lors de la pose de la mi-journée, nous identifions à l’aide de Google Earth une zone verte distante d’une vingtaine de kilomètres de notre position et à l’écart de la foule et des zones urbanisées. Il est plus de 17 h et ce lieu marqué sur le GPS se rapproche. 42 km. C’est la distance parcourue aujourd’hui. 42 km de moins pour rallier le port du Pirée. 42 km de moins pour atteindre la Mongolie.

Mais il ne faut pas faiblir, la journée n’est pas encore finie. Il faut vider le gros du chargement des kayaks, seule façon de pouvoir les déplacer. Pour cela, les sacs Ikéa s’avèrent fort pratiques. Nous montons la tente ensemble. Chaque jour, chacun prend sa position et effectue les mêmes gestes. Je termine l’installation du camp, Nathalie collecte le bois flotté nécessaire au fonctionnement du Kuenzi MF, une petite merveille de réchaud à bois suisse. En plus, d’un excellent rendement une fois plié, il ne prend pas plus de place qu’un Kindle. À lui seul, il donne un charme fou à nos bivouacs.

S’il n’y avait que du bois flotté sur les plages italiennes, ce serait le paradis, mais il y a aussi du plastique, des quantités de plastique ! Bouteilles, bouchons, cagettes, gobelets, chaussures, ballons, tuyaux, masques de plongée, sceaux, jouets, fils de pêche, bâtonnets, etc. Sur certains lieux, ce panel d’articles courants et au combien indispensable surpasse le volume de bois flotté. Qu’attendent nos décideurs pour imposer le retour aux bouteilles consignées ou un plastique 100% biodégradable ? Car pour info, sur les plages, la grande gagnante est de très loin la bouteille d’eau en plastique. À quand un réchaud qui fonctionne avec tous ses résidus ?…

Le dîner est un moment privilégié. C’est le meilleur moment de la journée, celui où le corps se relâche, où les températures se font plus clémentes. Le moment où pour notre plus grand plaisir le soleil passe sous l’horizon. Il est 20 h 30 et la demi-bouteille de El Circo Contorsionista  2013 (un vin local) amplifie la plénitude de ce moment. Rapidement la nuit nous absorbe. Une à une, les braises s’éteignent.

En mer scintillent une multitude de points lumineux. Ici la nuit appartient aux pêcheurs. Comme nous, leurs barques rejoindront la plage. Rares sont les ports sur la côte de Calabre.

Nathalie envoie notre position à Searout. Elle ne cesse de me répéter que nous avançons trop vite, que nous ne nous reposons pas assez. 800 km en trois semaines depuis Naples, avec des étapes de 50 km comme celle du passage du détroit de Messine… Vous trouvez ça beaucoup ? J’oubliais ; nous avons quand même pris trois journées de repos… Pour ma part, c’est le temps qui dicte, il nous ralentira et nous bloquera bien assez tôt. Nous aurons alors tout le loisir de nous reposer.

Le lendemain, le bulletin nous annonce une longue période de perturbation avec fort vent du nord et houle importante. La situation nous impose de nous abriter. Quelques heures plus tard, nous nous présentons à Antonio. Il nous autorise à installer tente et kayak derrière les rangées de parasols de sa plage privée.

C’est donc depuis la petite ville de Cariati et la concession « Pizzeria Antonio » où nous avons pour ainsi dire pris pension que je rédige ces lignes.

La reprise de la navigation est prévue pour jeudi 21, soit une semaine d’arrêt si la situation reste en l’état. 600 km nous sépare de Bari et la traversée en ferry pour la Grèce. Encore quelques coups de pagaie, quelques longues journées.

Mais ne dit-on pas que sur un voyage le plus important c’est le chemin, ce chemin que l’on fait jour après jour. Et qu’une fois la destination atteinte le voyage est fini…

Nous voilà rassurés, le gros du chemin est encore devant nous.

A.A.

 

Voir toutes les photos